Guy Duplat - La Libre - 30/06/2022
Arturo Pérez-Reverte est décidément un grand conteur d’histoires. Il parvient à nous entraîner chaque fois dans des romans qu’on ne lâche plus, comme sa série de 'Falcó' sur la guerre civile espagnole. Cette fois, on a bien cru qu’il allait rater sa cible: faire un roman canin, où les chiens sont les héros!
Si au début, on tergiverse, on est vite pris par cette histoire de Negro, un ancien chien de combat à la retraite, "mâtin espagnol croisé de fila brasileiro", encore couturé de cicatrices de ses combats de jeunesse. Il se dit peu intelligent mais il a du cœur et de la fidélité.
Il se rend régulièrement au bar de Abreuvoir, une rigole de la ville où coulent des résidus d’anis, pour y retrouver ses copains des rues. Ils discutent entre eux par des aboiements auxquels nous ne comprenons rien, mais qui leur permettent de raconter toute l’actualité.
Un matin, il apprend que son ami Teo a disparu, de même que Boris le Beau, sorte de Brad Pitt à quatre pattes, un lévrier russe qui plaît à toutes les femelles du quartier.
On voit d’emblée comment l’écrivain parvient à faire de cette histoire une métaphore de notre monde humain. Parmi les chiens du coin, il en est des lâches comme des courageux, à l’image des comportements des bipèdes. Certains chiens sont même d’extrême droite. Arturo Pérez-Reverte évoque l’un d’eux, qui s’appelle Degrelle et se plaint des chiens immigrants, de la "racaille", dit-il, qui envahit le quartier!
L'écrivain espagnol raconte son histoire avec humour: "Les humains jouent au tennis ou au golf, nous on chasse les mouettes", dit un chien. Un autre ajoute qu'un des avantages d'être chien, "c'est que nul n'exige de nous d'être politiquement correct". Arturo Pérez-Reverte insiste à bon droit sur la fidélité des chiens, jusqu'à l'absurde : "un chien n'est jamais qu'une fidélité en quête d'une cause".
Negro va alors mener l’enquête pour retrouver Teo et Boris, et découvrir qu’ils sont enfermés dans des cages pour participer à des combats clandestins de chiens ou pour servir d’exercices à des champions qui les déchiquetteront. La maltraitance animale est un des sujets évidents du livre.
Dans son enquête, Negro va retrouver ses vieux instincts de combattant, l’odeur du sang, la ruse pour saisir dans ses crocs la jugulaire de son adversaire. Le combat de Negro rappelle celui de Spartacus délivrant les esclaves romains et menant la guerre contre Rome. Ici aussi, les chiens sont esclaves des jeux d’argent des humains et soumis à leur cruauté.
On sent bien chez l’écrivain une tendresse particulière pour ce monde qui vit à nos côtés et qu’on ne voit jamais, comme il le fait, à hauteur de leur truffe.
Un autre Espagnol, Cervantes, avait déjà écrit 'Le colloque des chiens' et utilisé ceux-ci pour mieux parler des hommes.
Arturo Pérez-Reverte | 'Sans loi ni maître' | thriller | traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli | Seuil | 212 pp., 19 €, version numérique 14 €
«A la différence des hommes, nous, les canidés, ne connaissons pas grand-chose a l’hypocrisie. Nous sommes ce que nous sommes, et c’est tout. D’honnêtes bêtes.»
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